Innovations médicales venues de l’espace

Notre blogueuse invitée d’aujourd’hui est la Dre Ozzy Mermut. Directrice du programme de biophotonique à l’Institut national d’optique (INO) de Québec et professeure agrégée à l’Université Laval, Ozzy a obtenu un doctorat de l’Université McGill et complété un stage postdoctoral à l’University of California Berkeley et au Lawrence Berkeley National Laboratory. Ses intérêts de recherche portent sur les nouvelles méthodes et outils d’imagerie et de spectroscopie biomoléculaires, et ont pour thème sous-jacent les technologies créatrices d’impact en médecine et en sciences de la vie. À l’INO, elle dirige des activités de recherche-développement visant à appliquer la recherche biophotonique réalisée en laboratoire sous forme de plateformes technologiques viables en sciences de la santé et de la vie, à l’usage de l’industrie.

J’ai rencontré Ozzy en 2011 alors que j’étais chargé d’examiner les procédures et le concept opérationnel associés à une charge utile de l’INO appelée Microflow, un cytomètre de flux portable innovateur. Cet appareil, dont le développement a été financé par l’Agence spatiale canadienne (ASC), a voyagé à bord de la Station spatiale internationale en 2013 avec Chris Hadfield, aux fins d’une démonstration technologique.

Microflow a fonctionné à la perfection. La mission a démontré qu’un cytomètre Microflow pourrait devenir un outil essentiel pour toute une gamme d’applications bioanalytiques et cliniques dans l’espace. J’ai invité Ozzy à rédiger pour le blogue un article décrivant le processus de développement du Microflow pour les vols spatiaux, et les applications possibles de l’appareil pour les soins de santé en région éloignée au Canada. Voici son texte.

Bob


 

« Comment une fibre de verre de la taille d’un cheveu peut-elle faire ça?! »

C’est une question qu’on me posait souvent au début du projet Microflow. En observant l’appareil à fibre optique créé par l’Institut national d’optique, beaucoup de gens se demandaient comment une technologie aussi minuscule pourrait devenir une plateforme médicale indispensable pour les analyses de laboratoire en temps presque réel.

Aujourd’hui, les analyses de sang et d’urine visant à détecter les signes précurseurs de certaines maladies obligent les patients à se rendre à un hôpital ou un laboratoire. Ces derniers peuvent ensuite devoir attendre plusieurs jours avant de recevoir les résultats. Mais qu’arrive-t-il à ceux pour qui l’hôpital ou le laboratoire le plus près, et les spécialistes en bioanalyse, sont à 400 km de distance? Qu’arrive-t-il à ceux qui sont dans l’espace? À cette question posée en 2011, j’ai pu répondre en 2013 par une démonstration concluante du cytomètre. Mais revenons en arrière jusqu’au début de l’histoire.

Le Microflow est un cytomètre de flux à fibre optique innovateur qui permet d’analyser des cellules (une à la fois) en temps réel et d’en déterminer le phénotype à l’intérieur d’un mini-laboratoire de ~200 micromètres. 

 

En tant que directrice de la R-D biophotonique à l’INO, j’ai constaté maintes et maintes fois toute la puissance de la lumière. Lorsque le livre de la Genèse a cité « Fiat lux » (Que la lumière soit), le monde n’imaginait pas encore l’impact formidable qu’aurait le rayonnement électromagnétique sur la recherche en santé, dans des domaines allant du dépistage du cancer jusqu’aux traitements thérapeutiques. Et au coeur de tout ce progrès figure le monde des technologies biophotoniques, qui exploite l’interaction entre la lumière et la matière biologique pour répondre à des questions posées par les sciences de la vie et résoudre des problèmes cliniques.

C’est que, voyez-vous, la lumière possède des propriétés exceptionnelles nous permettant de cibler, de mettre au point et de provoquer les effets désirés, tout en éliminant les effets indésirables. Prenons par exemple la lumière utilisée en médecine dentaire. Les jours de la fraise sont maintenant comptés dans l’arsenal des dentistes; le traitement au laser le plus récent est mieux ciblé et minimalement invasif. Aucune anesthésie n’est requise! En choisissant la bonne couleur et le bon profil énergétique (c.-à-d. durée, superficie, intensité), les dentistes peuvent prélever sélectivement un type de biomatériel sans toucher aux tissus non atteints. En ophtalmologie, de nombreuses personnes font déjà confiance à la chirurgie au laser pour corriger leurs problèmes de vision.

En maîtrisant les différentes propriétés de la lumière, nous pouvons aussi l’utiliser pour sonder des matières et des processus biologiques particuliers sans les perturber et sans altérer les organismes vivants, leurs tissus et leurs cellules.

Les microscopes et les cytomètres de flux fournissent à cet égard d’excellents exemples. Ces appareils sont des outils très perfectionnés qui exposent des échantillons biologiques (sang, urine, salive, tissu) à un faisceau laser focalisé, afin de sonder les cellules et les biomarqueurs qu’ils contiennent. Les microscopes analysent les cellules par grossissement en les fixant à une surface, tandis que les cytomètres analysent les cellules s’écoulant une après l’autre dans un liquide pour les caractériser et les classifier individuellement. Avec un tel pouvoir, il est dommage que tout le monde ne possède pas son biolaboratoire personnel! Dans la perspective des vols spatiaux, ces outils portables à usage potentiellement diagnostic peuvent se révéler très utiles et même indispensables à l’humain, qui s’aventure de plus en plus loin de la Terre dans l’exploration de l’univers.

L’utilisation des technologies laser dans l’espace – le milieu éloigné par excellence – à des fins de bioanalyse comporte ses propres défis et inconvénients. D’abord, ce genre de technologie de laboratoire n’est pas facile à installer et à transporter. Si vous avez déjà été dans un laboratoire de biologie moléculaire, vous savez que les microscopes et les cytomètres sont de gros systèmes plutôt lourds et très perfectionnés comportant un enchevêtrement de lasers, de détecteurs, de lentilles et de filtres. Ces instruments complexes ne voyagent pas très bien. Le poids d’un cytomètre classique peut atteindre une centaine de kilos. C’est un bagage à main plutôt encombrant pour un vol dans l’espace!

Les débuts du Microflow à bord de la SSI! Chris Hadfield ouvre son cadeau technologique et le fait tournoyer! Après avoir fait fonctionner le Microflow avec succès et démontré ses capacités d’analyse de biomarqueurs sanguins, Chris a transmis à la Terre les données cardiaques de l’unité. (Référence photographique :  Chris Hadfield, ASC, NASA)

 

Même dans une boîte étiquetée « fragile », vous aurez évidemment des problèmes lorsque votre principal moyen de transport dans l’espace est une fusée. L’équipement expédié par une fusée SpaceX, par exemple, est soumis à des fréquences beaucoup plus élevées qu’une cargaison de camion ou d’avion. Dans certains cas, les vibrations subies au lancement peuvent s’amplifier pour devenir des fréquences de résonance dangereuses pour tout objet fragile. Et il y a la force d’accélération statique au lancement, qui peut atteindre 7G (sept fois la force gravitationnelle terrestre).

Une fois arrivé dans l’espace, l’équipement (que nous espérons intact) doit être branché à une source de courant. Cela peut poser un problème si votre destination est la Station spatiale internationale (SSI). Avez-vous pensé d’apporter votre adaptateur universel et votre bloc d’alimentation? Qu’arrive-t-il si l’instrument se brise? Il ne suffit pas d’acheminer l’équipement à la station spatiale. Les appareils de pointe requièrent leurs propres procédures et outils d’entretien spécialisés. J’espère que vous n’avez pas oublié le guide d’utilisation de 200 pages!

Le laboratoire spatial Microflow de l’INO est le résultat de la rencontre entre une équipe de physiciens qui adorent s’amuser avec la lumière et un groupe de chercheurs en optique biomédicale qui s’attaquent à des défis médicaux. La fibre optique est une technologie photonique ayant grandement contribué à la conception du Microflow. Bien des gens connaissent la fibre optique pour son rôle dans les télécommunications. La communication par fibre optique est un moyen très simple et très peu encombrant de transmettre des paquets de données denses à codage lumineux du point A au point B – souvent à des milliers de kilomètres de distance. Nous nous fions tous les jours à cette technologie minuscule (de la taille d’un fil à coudre) pour accéder à des centaines de chaînes de télévision et à l’Internet haute vitesse. Ma fascination pour la fibre optique est née lorsque j’ai exploré son potentiel comme capteur optique déployable à distance durant mes études universitaires. Mon admiration est montée d’un cran lorsque j’ai travaillé à acheminer des données lumineuses à un débit de 1 000 billions d’octets à la seconde!

Dans notre monde à haute vitesse et à haut débit, où les données sont acquises et transmises instantanément, le défi de l’INO était clair : exploiter le pouvoir de cette technologie pour observer des biomarqueurs et permettre des diagnostics médicaux dans l’espace, par delà toutes les frontières. Notre rêve a pris la forme d’un laboratoire spatial de fibre optique.

Les collègues de l’INO et de l’ASC expriment leur joie à Cap Canaveral à la suite du lancement réussi de la fusée SpaceX CRS-2 transportant le Microflow à la SSI (avec de la nourriture pour les astronautes!).  (Ozzy Mermut est troisième à partir de la gauche.)

 

Une fibre optique fonctionne en emprisonnant et en conduisant la lumière le long de sa partie centrale, ou coeur. Il s’agit essentiellement d’un « tuyau à lumière » qui transmet de l’information à la vitesse de la lumière. Mais ce n’est pas un tuyau ordinaire. D’un diamètre de quelques micromètres, il peut encoder de nombreuses « couleurs » d’informations transmises simultanément par de multiples « canaux ». Saviez-vous qu’une seule fibre optique peut supporter les communications vocales de toute la population du Canada vers les États-Unis? Cette même technologie peut pourtant se réduire à un laboratoire portable miniature, capable d’analyser des biomarqueurs médicaux dans les endroits les plus éloignés.

La recherche biophotonique réalisée à l’INO nous a permis de réaliser nos rêves d’espace, dont la clé se trouvait littéralement dans le coeur d’une fibre optique. En pratiquant une ouverture au centre d’une fibre optique (le médium qui emprisonne et propage la lumière), nous avons réalisé que nous pouvions accéder à la lumière tout en sondant rapidement du matériel biologique. Avec la fibre, nous pouvons « plier la lumière » émise par un laser pour illuminer et exciter un bioanalyte, et la plier de nouveau pour retransmettre l’information reçue à un détecteur. En remplissant de liquides biologiques le coeur de ce minuscule tuyau à lumière, nous pouvons en caractériser optiquement chaque particule (cellule ou biomolécule) tandis qu’elles défilent rapidement devant un faisceau lumineux (des milliers d’analytes par seconde).

Prenons par exemple le sang. Le sang est riche en particules qui renseignent sur l’état de santé. Un microlitre de sang contient 5 millions de globules rouges, 7 000 globules blancs et 200 000 plaquettes. Avec des balises à codes couleur, le Microflow permet d’analyser des populations entières de cellules sanguines et d’autres biomarqueurs et d’en déterminer le phénotype en moins de deux minutes. Un laboratoire spatial de fibre optique ultrarapide et puissant qui tient dans le creux de la main!

L’analyse optique de particules biologiques individuelles n’est pas un concept récent. La cytométrie de flux existe depuis les années 1950. Mais les cellules ne peuvent « s’autofocaliser » pour être examinées une à la fois devant un faisceau lumineux; elles doivent être guidées. Les cytomètres de flux classiques nécessitent des volumes élevés d’échantillons dilués pour fournir une lecture précise par un placement parfait des particules devant la zone de lumière. Cela crée beaucoup de liquide résiduel.

En revanche, la technologie de fibre optique propre au Microflow ne requiert que l’équivalent d’une gouttelette d’échantillon. En plus de simplifier le mécanisme d’écoulement du liquide, cela génère beaucoup moins de liquide résiduel et facilite le travail de cytométrie. Dans l’environnement de la SSI, où il y a peu de place et où la manipulation de liquides est périlleuse, le Microflow est un appareil éminemment pratique pour l’espace.

Le potentiel de cette technologie comme biolaboratoire spatial portable est illimité. En 2011, mes collègues de l’INO et moi-même avons été chargés de le démontrer. Et bien, quoi de plus convaincant qu’une démonstration de la technologie dans l’environnement opérationnel exigeant de la SSI? Après 18 mois de préparatifs qui ont empiété sur nos heures de sommeil, l’inauguration du Microflow à la SSI (1er mars 2013) et les essais de démonstration (6 et 11 mars 2013) se sont déroulés à la perfection, orchestrés de main de maître par mes collègues de l’INO et nos partenaires de l’ASC. Et la cerise sur le gâteau? La mise à l’essai du Microflow a été confiée à notre Canadien Chris Hadfield.

Houston, je vous annonce que le Microflow est un succès!

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